Plus au Nord Est du département, les reliefs se marquent un peu plus, et le climat devient alpin, plus humide et froid. En fonction de l’orientation, les versants ne se prêtent pas aux mêmes activités. Beaucoup plus clairement que dans les Préalpes, les vallées sont délimitées par des crêtes plus abruptes et les rivières donnent leur nom à des ensembles bien circonscrits : le Haut Verdon, la Blanche, et surtout l’Ubaye, la plus longue de ces vallées
Cette unité apparente est le résultat de la géomorphologie : « Les crêtes délimitent une unité ubayenne. On se heurte à ce versant, et il faut passer des cols pour le Verdon, le Mercantour ou l’Italie. L’Ubaye est vraiment comme une grande vallée, séparée par ces lignes de crête ». Mais cette unité s’est faite récemment, avec la réalisation des axes de communication dans les fonds de vallée. Auparavant, le passage par les cols était le mode principal de déplacement, ce qui a donné aux territoires des rapports plus étroits avec les autres versants : « L’Ubaye, parcourue dans toute sa longueur, c’est une image récente de l’entité ubayenne ; avant les unités n’étaient pas les mêmes. Il y a une grosse unité Barcelonnette – Jausiers ; c’est la paume de la main, et les doigts sont le Laverq, le Bachelard, l’Ubayette et la Haute Ubaye. Et chaque doigt a plus à voir avec son pendant de l’autre coté » ; « La vallée se déplie de manière un peu compliquée, successivement étroite puis large » ; « On est plus tourné vers Digne. Le seul point commun avec l’Ubaye, c’est le ski et le tourisme de montagne. Il ne faut pas prendre en compte seulement les points communs, il y a le bassin d’emplois, les déplacements ».
Enfin, ces vallées ont systématiquement la réputation d’être à part, à l’écart du reste du département. Il y a plusieurs raisons à cela : les formes d’agriculture, les dynamiques économiques liées au tourisme autant que l’isolement physique. Mais certains rappellent les liens avec les pays plus méridionaux : « Du point de vue géographique, c’est vrai que l’Ubaye a plus à voir avec l’Embrunais qu’avec Valensole. Mais sur le plan culturel, on est dans le 04. Cette ouverture au Sud, c’est déjà un peu sensible sur la végétation dans le bas de la Vallée, Serre Ponçon, Laverq ou sur le Verdon. On a en plus des relations avec la Provence, via la transhumance » ; « C’est mieux d’être le pôle montagne d’un pays haut, qu’une goutte d’eau au milieu des montagnards ».
Un paysage rural, urbain…
L’élevage bovin est une caractéristique presque exclusive des vallées alpines dans le département. L’élevage ovin se trouve essentiellement dans les alpages, tandis que les fonds de vallée, souvent plats offrent un paysage proche du bocage : « Seyne, c’est le pays alpin, beaucoup plus marqué par le bovin. Il y a des haies, des parcelles carrées » ; « On y voit une nature très entretenue, des champs cultivés ». Globalement les terroirs de prés se maintiennent et sont plus soumis aux pressions d’autres occupations du sol, telles que l’urbanisation. Cependant, les systèmes d’exploitation restent fragiles, contraints par le relief et très dépendants des incitations financières : « Les agriculteurs demandent qu’on leur laisse faire leur travail. Mais l’Union Européenne peut-elle garder raison ? L’énarque là bas doit-il décider comment traire les vaches ? Peut-il dire combien d’hectares il faut pour vivre ? Les terres sont très en pente, c’est difficile pour l’agriculture. S’il y a une bonne année en fourrage, c’est juste assez pour passer l’hiver » ; « Il y a pas mal d’agriculteurs jeunes. Ils se sont modernisés, ont de la surface, des bonnes terres. C’est une activité solide au moins jusqu’en 2006, avec le maintien de la PAC ».
Le tourisme d’hiver s’est développé dans les années 60 et 70, et a fourni à la population rurale des revenus nouveaux et complémentaires : « Ce sont les zones qui ont le plus évolué en mentalité et en démographie. Parce que le tourisme a été une révolution. Les gens partaient à l’extérieur, c’était l’exode. Puis dans les années 70, les gens de l’extérieur sont venus dans la Vallée ». Si certaines stations ont aujourd’hui des difficultés liées à l’enneigement irrégulier, les vallées ne remettent pas en cause cette activité : « Quelle remise en cause voulez-vous ? Les stations s’équipent en neige artificielle, mais ça rapporte beaucoup. On peut développer la randonnée, mais ce ne sont pas les mêmes recettes. On n’a rien inventé qui rapporte autant que la neige ». Plus récemment, les vallées ont vu se développer les sports d’été qui ont permis à une nouvelle population de s’installer durablement : « On a une population jeune, qui vient et qui vit d’activités sportives ; parapentes, kayaks, etc. Et les saisonniers du ski viennent pour une autre activité en été, et fondent une famille, dans les villages. La population se renouvelle : ce sont des vieux remplacés par des jeunes » ; « On a un rajeunissement, un bon niveau d’emploi. Il y a des gens qui viennent vivre ici ». Les communes les plus importantes bénéficient de cet afflux et l’extension urbaine touche l’ensemble des villages alentour, dans une dynamique de développement qui amène également l’installation d’équipements publics importants. Les nouvelles populations gardent cependant un mode de vie urbain, qu’ils apportent à la montagne : « C’est le grand danger : ils veulent les mêmes avantages que les citadins, sans les inconvénients : salle de sport, gymnase, théâtre, cinéma. Il faut accepter les inconvénients de la campagne. La population nouvelle veut ces avantages car ils sont passés en ville ». Le poids du tourisme ajoute à cette urbanisation du rural, autant par les formes et les densités de construction que par le mode d’aménagement de l’espace public : « L’effort de la vallée pour se fleurir est énorme. Les clients veulent retrouver ce qu’ils ont chez eux ».
… ou naturel ?
Ces évolutions démographiques et dans l’organisation des vallées ont deux effets contradictoires sur les perceptions des paysages. D’une part, elles accentuent la fracture entre l’urbain qui caractérise la vallée et le sauvage qui caractérise les espaces de haute montagne : « Dans la randonnée, on ne voit plus la civilisation du bas. Quand on va sur la crête, les problèmes restent en bas : on relativise complètement. Et on n’entend pas le bruit de la ville. On est tout de suite loin » ; « C’est accidenté et sauvage ». D’autre part, le tourisme et son urbanité investissent les espaces de montagne et conduisent chacun à redécouvrir les aménagements anciens, tels que les fortifications ou les cabanes isolées dans les alpages. Ces traces d’usages historiques de la montagne amènent à revoir la notion de sauvage : « On trouve partout la main de l’homme, très haut. Ce n’est pas la montagne inhospitalière et minérale qui n’intéresse plus que les sportifs. La trace humaine disparaît petit à petit, les clapes disparaissent pour la construction, mais c’est un pays rempli d’histoire ».
Disparition et redécouverte des traces humaines dans les hauteurs, réinvestissement des terroirs ruraux, aménagements urbains dans les fonds de vallée, les paysages des montagnes alpines devraient se ressentir de telles évolutions. Pourtant plusieurs acteurs constatent une permanence de leur qualité : « Je retrouve la même vallée que quand j’avais 15 ans » ; « Quand je suis arrivé, la vallée n’était pas abîmée. Et depuis 50 ans, on ne l’a pas abîmée. Rien ne heurte sauf quelques lignes à 63 000 volts, mais ça on ne maîtrise pas. Pourtant on a trois stations de ski, mais ce n’est pas abîmé ; il faut voir le nombre de gens qui viennent chaque année ». Le paysage de la montagne est alors réputé naturel, non pas pour ses qualités visuelles, mais par son caractère « intemporel », son aptitude à intégrer des éléments artificiels sans être profondément modifié : « Il y a les immeubles de Pra Loup, quand je lève la tête, en été, mais c’est entré dans le paysage. En hiver, quand c’est éclairé, c’est une féerie ». Ainsi la présence du Parc National du Mercantour, sur une portion mineure du territoire (le Sud Est de l’Ubaye, et l’Est du Haut Verdon) sert plus l’image « naturelle » des vallées qu’il n’en transforme effectivement la vie : « A l’origine, le Parc a été totalement rejeté : toutes les communes et tous les conseillers généraux ont dit non. Il y avait la peur de l'agrandissement. Mais pour les habitants concernés, ça n’a pas changé grand chose dans la vie quotidienne. En revanche les communes utilisent maintenant l’image du Parc. Avant elles se retenaient, par rapport à leur population. Aujourd’hui, elles ne se retiennent pas, c’est un argument de promotion ».