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Objectifs et méthodologie de l’enquête sociologique

Dans le cadre de la réalisation de l’atlas des paysages, en complément du travail du paysagiste décrivant et analysant les paysages à l’échelle de l’entité paysagère, le sociologue a eu pour objectif :

  • d’identifier les acteurs du paysage, leur manière d’appréhender le paysage (différente entre un écologiste et un notaire par exemple, entre un élu et un associatif, etc.), leurs actions concrètes, leurs projets, etc. ;
  • de décrire et d’analyser les processus sociaux et économiques qui font évoluer les territoires et les paysages : évolution démographique, dynamiques agricoles, problèmes fonciers, entretien des paysages ; d’élaborer avec le paysagiste la liste des enjeux des paysages, c’est à dire ce que mettent en cause les évolutions du territoire dans la gestion et la protection des paysages ; identifier les réponses des collectivités locales et des services de l’Etat à ces évolutions (ils sont les principaux destinataires de l’atlas) ;
  • de décrire les représentations locales des paysages par les habitants du département, c’est à dire repérer et localiser les qualificatifs utilisés, les identités révélées au cours des entretiens, révéler les oppositions entre les territoires pour celui qui les fréquente quotidiennement, de manière à proposer des modalités de prise en compte des paysages qui correspondent aux attentes locales ;
  • de déclencher et d’animer une réflexion et un débat sur les enjeux identifiés avec ceux qui ont les moyens de peser sur les problèmes, et qui les vivent au quotidien : l’ensemble des élus locaux, des services de l’Etat et des collectivités, des représentants associatifs, et plus généralement tous les acteurs organisés du territoire.

Pour cela, l’enquête consiste à rencontrer un échantillon d’acteurs dans le département, parmi les catégories suivantes :

  • Les principaux services opérationnels de l’Etat ;
  • Les parcs naturels, réserves et autres organismes gestionnaires de territoires ;
  • Les élus locaux, principalement les Maires ;
  • Les présidents des communautés de communes et les responsables de pays ;
  • Les acteurs socio-économiques ;
  • Les associations de protection de l’environnement et de développement local ;
  • Les représentants du monde agricole, et des activités de plein air (tourisme, chasse pêche) ;
  • Des personnalités compétentes, reconnues localement comme expertes.

Ces acteurs ont tous un regard ou une activité particulière vis-à-vis du paysage. On s’intéresse ainsi à la manière dont leur posture sociale les amène à décrire les paysages et les territoires. Chaque entretien s’est déroulé selon le même guide d’entretien : dans un premier temps, l’acteur présente son activité et son rôle sur le territoire, puis il détaille les évolutions de ce territoire sur plusieurs points clés : les évolutions démographiques, les activités humaines, notamment économiques et finalement la situation foncière. Il évoque également les réponses des collectivités à ces problèmes afin d’identifier les actions publiques s’appliquant au paysage. Dans un deuxième temps, l’acteur doit décrire les paysages qui l’entourent, d’un point de vue visuel, comme s’il s’adressait à une personne ignorant tout du secteur. Cette évocation part du lieu de l’entretien, pour s’élargir progressivement aux paysages plus éloignés, jusqu’à couvrir dans certains cas l’ensemble du département.

Au total, quarante quatre personnes ont été rencontrées dans tous les secteurs du département dont dix élus, neuf techniciens des collectivités (aménagement, territoire), huit représentants des services de l’Etat, quatre acteurs socio-économiques, dix représentants associatifs et trois personnalités compétentes.

Les territoires des Alpes de Haute Provence sont très diversifiés. On a coutume de dire qu’il manque à ce département une cohérence géographique. Mais c’est oublier que les départements ont été constitués pour administrer le territoire, sans reprendre systématiquement les unités locales constituées sous l’Ancien Régime. Si certains départements ont repris les contours de « pays » déjà existants, d’autres ont petit à petit construit leur cohérence dans les pratiques des habitants. Dans les Alpes de Haute Provence, ce processus n’a pas totalement abouti et des logiques contemporaines sont à l’œuvre qui semblent écarteler le département : le développement de l’axe durancien a rapproché les villes du Sud du département de la métropole marseillaise ; la protection des sites et des massifs a créé des structures de gestion de territoire autonomes aux frontières du département avec ses voisins du Var (PNR du Verdon) et du Vaucluse (PNR du Luberon) ; enfin les pays en cours de constitution orientent les secteurs Nord du département vers le département voisin des Hautes Alpes. Que reste-t-il des Alpes de Haute Provence ?

C’est toute la partie Sud Ouest et Ouest du département, au relief relativement doux, qui associe les massifs linéaires du Luberon et de Lure, aux vallées des principales rivières du département : la moyenne vallée de la Durance, et les basses vallées de la Bléone, de l’Asse et du Verdon, ses trois affluents. Entre ces vallées s’élèvent collines et plateaux. Le climat est généralement méditerranéen et sec.

Le paysage mouvant

En Haute Provence, malgré la diminution du nombre d’exploitants, l’agriculture s’est globalement maintenue par la conjonction de deux phénomènes : l’agrandissement des exploitations et la spécialisation de l’activité.

Les agriculteurs ont en effet vu les conditions d’exploitation évoluer considérablement : leur nombre a globalement diminué de moitié, mais ceux qui sont restés ont agrandi les zones cultivées, jusqu’à n’être plus qu’une poignée à intervenir sur un terroir communal presque inchangé : « le nombre d’exploitations diminue, mais la surface reste la même : il y a concentration » ; « On essaie de gagner sur la colline, car la terre nous manque. Beaucoup d’agriculteurs louent sur d’autres communes » ; « Il y a une faim d’agrandissement des exploitations. Jusqu’où ira-t-on ? Le contrôle des structures n’existe pas ».

C’est le secteur constitué par des reliefs plus marqués, des vallées encaissées, voire des gorges, fermées par des clues, et des sommets déjà couverts de neige en hiver. Ce secteur est organisé autour des moyennes vallées des grands affluents de la Durance (Verdon, Asse, Bléone) et d’une portion du bassin du Var, à l’Est. Pour la plupart des habitants de l’Ouest du département, ce secteur est déjà celui de la montagne : « depuis en bas, on dit : c’est là que commencent les Alpes ! ». Mais pour ses habitants, ce territoire est plutôt une zone de transition vers les Alpes, et ils définissent ainsi cette situation intermédiaire : « C’est le trait d’union entre le haut et le bas du département, du plateau de Valensole à la montagne. Il ne faut pas voir la montagne comme flottant en haut ; elle a besoin du bas. C’est le pays de l’union entre le haut et le bas » ; « On passe des Alpes à la Méditerranée, le tournant est ici » ; « Ce sont des vallées préalpines. Au Caire, on bascule vers les Alpes ». Cette transition entre la Haute Provence et la montagne « alpine » peut prendre d’autres noms qui associent les caractères de l’une et l’autre, tels que « montagnes sèches ».

Mais s’il faut trouver l’unité de ce secteur, c’est sa situation de moyenne montagne qui s’impose à tous : « Ici on est en moyenne montagne, c’est justifié. C’est la moyenne montagne provençale ». Souvent on précise ainsi, on relie le secteur des Préalpes à ceux qui l’entourent. Ainsi, le Sud Est du département se définit comme « l’arrière pays » de Nice, tandis que la partie centrale entretient un lien nostalgique avec la Haute Provence, comme si l’identité provençale avait « glissé » sur les pentes jusqu’aux rives de la Durance. Finalement, « c’est un pays sans homogénéité ni signalétique, alors que le lieu est extraordinaire pour les européens du Nord. On ne sait pas où on est ».

Plus au Nord Est du département, les reliefs se marquent un peu plus, et le climat devient alpin, plus humide et froid. En fonction de l’orientation, les versants ne se prêtent pas aux mêmes activités. Beaucoup plus clairement que dans les Préalpes, les vallées sont délimitées par des crêtes plus abruptes et les rivières donnent leur nom à des ensembles bien circonscrits : le Haut Verdon, la Blanche, et surtout l’Ubaye, la plus longue de ces vallées

Cette unité apparente est le résultat de la géomorphologie : « Les crêtes délimitent une unité ubayenne. On se heurte à ce versant, et il faut passer des cols pour le Verdon, le Mercantour ou l’Italie. L’Ubaye est vraiment comme une grande vallée, séparée par ces lignes de crête ». Mais cette unité s’est faite récemment, avec la réalisation des axes de communication dans les fonds de vallée. Auparavant, le passage par les cols était le mode principal de déplacement, ce qui a donné aux territoires des rapports plus étroits avec les autres versants : « L’Ubaye, parcourue dans toute sa longueur, c’est une image récente de l’entité ubayenne ; avant les unités n’étaient pas les mêmes. Il y a une grosse unité Barcelonnette – Jausiers ; c’est la paume de la main, et les doigts sont le Laverq, le Bachelard, l’Ubayette et la Haute Ubaye. Et chaque doigt a plus à voir avec son pendant de l’autre coté » ; « La vallée se déplie de manière un peu compliquée, successivement étroite puis large » ; « On est plus tourné vers Digne. Le seul point commun avec l’Ubaye, c’est le ski et le tourisme de montagne. Il ne faut pas prendre en compte seulement les points communs, il y a le bassin d’emplois, les déplacements ».