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C’est le secteur constitué par des reliefs plus marqués, des vallées encaissées, voire des gorges, fermées par des clues, et des sommets déjà couverts de neige en hiver. Ce secteur est organisé autour des moyennes vallées des grands affluents de la Durance (Verdon, Asse, Bléone) et d’une portion du bassin du Var, à l’Est. Pour la plupart des habitants de l’Ouest du département, ce secteur est déjà celui de la montagne : « depuis en bas, on dit : c’est là que commencent les Alpes ! ». Mais pour ses habitants, ce territoire est plutôt une zone de transition vers les Alpes, et ils définissent ainsi cette situation intermédiaire : « C’est le trait d’union entre le haut et le bas du département, du plateau de Valensole à la montagne. Il ne faut pas voir la montagne comme flottant en haut ; elle a besoin du bas. C’est le pays de l’union entre le haut et le bas » ; « On passe des Alpes à la Méditerranée, le tournant est ici » ; « Ce sont des vallées préalpines. Au Caire, on bascule vers les Alpes ». Cette transition entre la Haute Provence et la montagne « alpine » peut prendre d’autres noms qui associent les caractères de l’une et l’autre, tels que « montagnes sèches ».

Mais s’il faut trouver l’unité de ce secteur, c’est sa situation de moyenne montagne qui s’impose à tous : « Ici on est en moyenne montagne, c’est justifié. C’est la moyenne montagne provençale ». Souvent on précise ainsi, on relie le secteur des Préalpes à ceux qui l’entourent. Ainsi, le Sud Est du département se définit comme « l’arrière pays » de Nice, tandis que la partie centrale entretient un lien nostalgique avec la Haute Provence, comme si l’identité provençale avait « glissé » sur les pentes jusqu’aux rives de la Durance. Finalement, « c’est un pays sans homogénéité ni signalétique, alors que le lieu est extraordinaire pour les européens du Nord. On ne sait pas où on est ».

Digne les Bains, préfecture du département, illustre cette difficulté à se situer clairement dans un espace de mixité entre la Méditerranée et les Alpes : « Sur Digne une étude a suggéré de travailler sur la lavande ou comme porte des Alpes. D’un côté, si on l’associe à la montagne, ça marchera moins, et on est connu pour le corso de la lavande. Mais d’un autre côté, les touristes se sentent entourés de montagne. Finalement, on a deux clientèles : pour les touristes de la région PACA, c’est la montagne ; et pour ceux du Nord et de l’Europe, c’est le soleil, la ruralité, la Haute Provence, la lavande et l’olivier » ; « La lavande, il n’y en a pas qu’à Digne. Tout comme les T-shirts avec les chamois et les edelweiss qui sont en vente. Cette image de lavande et d’edelweiss n’a rien de spécifique à Digne ».

La disparition de l’homme ?

Les Préalpes ont subi de plein fouet l’exode rural à partir de 1850, puis les effets du rachat des terres par l’Etat pour la Restauration des Terrains en Montagne (RTM). Le territoire donne aujourd’hui une impression de vide : « Le pays s’est vidé de ses habitants. Tous les petits villages étaient surpeuplés en 1850 ; en 1950, on a touché le fond. On est l’image du désert français » ; « On trouve des cimetières dans des lieux où il n’y a plus personne » ; « Ici on doit se demander où les gens habitent. On ne voit pas d’habitation pendant des kilomètres. C’est entretenu car c’est cultivé, mais on ne voit pas de gens travailler. On sent le manque de population » ; « Ici, il y a la notion d’arrière pays, de zone en déprise. C’est loin de la Durance… Il y a plus de moutons que d’hommes ». La mécanisation de l’agriculture a accentué l’abandon des terres les plus difficiles à exploiter et renforcé le sentiment d’une inadaptation à la modernité : « On avait honte d’être ici. On avait perdu notre identité ; les parents nous disaient : foutez le camp ! Les conditions étaient dures, il n’y avait pas la route : on faisait tout à dos. Ailleurs, il y avait les machines, les moyens modernes : ici ça n’avait pas de sens, le progrès qui venait d’ailleurs. On était mieux partout sauf en prison…».

La régression de l’agriculture n’est cependant plus le principal facteur d’évolution démographique dans les Préalpes. Si certaines zones continuent à se vider, c’est plutôt par l’effet de la mortalité des ruraux devenus âgés. Mais depuis de nombreuses années, le secteur accueille des retraités et des résidents temporaires, qui sont souvent originaires du pays : « Ceux qui sont partis, ils reviennent à la retraite. Car la qualité de vie est meilleure ici qu’en ville ; il y a 40 ans ce n’était pas le cas… » ; « Les résidences secondaires représentent la moitié du bâti. Il y a les gens [originaires] d’ici, qui viennent pour la chasse et les boules. Ce sont les héritiers du foncier, mais ils ne se font pas élire. Avec le bon accent du coin, ils restent les enfants du pays ; ils appartiennent au comité des fêtes et aux sociétés de chasse. Ils sont contre tout, ils ne veulent pas que ça change. En même temps, ils retapent les baraques » ; « Les anciennes fermes sont habitées par les vieux ou leurs enfants, qui sont restés et qui viennent en congé et pour chasser ».

Les Préalpes donnent ainsi l’image d’un territoire très peu habité, à l’écart de toute dynamique de développement, profitant seulement d’un tourisme « de cueillette », doublé d’une fréquentation temporaire qui n’entretient pas l’activité locale : « Il y a une fracture quand même : les montagnes ne profitent pas de l’essor de la Vallée [de la Durance]. Mais c’est lié à la faiblesse de leur peuplement, ce qui fait qu’elles n’ont pas une importance capitale, après tout ». Pourtant, certains secteurs ont vu leur population augmenter depuis le dernier recensement, sous l’effet des dynamiques urbaines et de la mobilité accrue par l’utilisation de la voiture. Ainsi l’influence de Digne n’a cessé de s’étendre aux communes alentour, qui accueillent des nouveaux résidents au mode de vie urbain et que l’on pourrait dès lors qualifier de périurbaines : « il y a une tendance à l’accroissement démographique exogène : des néoruraux et les gens de la ville. Les vieux dignois sont peu nombreux, beaucoup de gens sont arrivés ». De la même manière, les environs de Sisteron ont bénéficié de l’essor de la ville en accueillant des résidents permanents travaillant dans la vallée de la Durance. D’une autre manière l’influence de Nice s’est fait sentir sur les communes des cantons d’Entrevaux et d’Annot : « au dernier recensement, on a perdu, mais l’augmentation est très récente, depuis deux ans. Les terrains se vendent et il y a des constructions. Les gens reviennent vers l’arrière pays ».

Cependant, ce regain démographique ne touche pas uniformément tous les secteurs géographiques : ce sont les communes plus importantes, sur les axes de communication et offrant un minimum de services, qui engrangent les nouveaux habitants, tandis que les communes plus isolées attendent toujours un nouvel essor : « A l’Est de la Durance : il y a de grandes variations de vacuité » ; « Personne ne rachète, l’accessibilité est impossible et le climat difficile. Les gens veulent revenir dans l’arrière pays, mais tout seul là haut, ils sont de moins en moins. Les gens qui vieillissent là haut reviennent en ville, c’est plus facile » ; « La population, ça va remonter un jour, du Sud vers chez nous. Le rebond aura lieu dans 15 ans environ, avec un nouvel afflux de population ». Finalement la présence humaine n’a pas disparu des Préalpes mais elle a pris des formes très différentes, qui s’additionnent pour composer une occupation hétéroclite : « Il y a des fermes, un gîte rural, des résidences secondaires, un peu de neuf et pas mal d’ancien ».

La forêt omniprésente

La Restauration des Terrains en Montagne menée par l’Etat a été une intervention extrêmement lourde sur le territoire et dont chacun garde la mémoire : « Ce sont des projets d’Etat qui ont donné du travail aux gens et qui ont transformé le paysage, puis qui sont partis. C’était une entreprise fantastique ». Peu de gens critiquent aujourd’hui l’opportunité de cette action, dans la mesure où elle a autant accompagné la déprise agricole qu’elle ne l’a véritablement provoquée. Mais elle a eu une conséquence majeure : « Cette société est dominée, le paysage est contrôlé par l’ONF, décidé à Paris. A Villars Colmar, 70% de la commune appartient à l’Etat. Et il y a en plus des forêts communales gérées par l’Etat » ; « Les communes ont soumis leurs forêts à l’ONF, alors on se fâche difficilement avec eux… ». Le poids de l’Office National des Forêts comme gestionnaire de l’espace dans les Préalpes est effectivement considérable, mais la RTM a surtout introduit une nouvelle essence, jugée la plus performante pour le reboisement, le pin noir d’Autriche. Après un siècle, les plantations sont pour la plupart à maturité, tandis que l’on constate un phénomène d’essaimage du pin noir qui déborde des plantations.

Pourtant les surfaces couvertes en pin noir ne sont pas les plus importantes et l’ONF n’est sans doute pas responsable de « l’enrésinement » du territoire : « Seulement 3 % de la surface du département est couvert par le pin noir, qui n’essaime pas à plus de 100 m. Le pin sylvestre est beaucoup plus dynamique, même s’il pousse moins vite. La reforestation naturelle est le phénomène principal ». Ce phénomène s’est développé dans le sillage de la déprise : « Sur les pentes, il y a l’opposition entre ce qui a été et le milieu forestier. Des vallées entières sont fermées. Au Castellet les Sausses, on tombe sur une ruine tous les 300 ou 400 m. Je n’ai jamais fait partir personne. S’il y a des bois c’est que les gens sont partis ». Le reboisement et la reforestation naturelle se sont confondues pour donner une impression d’omniprésence de la forêt : « c’est un petit lieu d’habitation dans une immense forêt. Si on sort de ce groupe, il n’y a plus que du bois et un peu d’eau » ; « Ce pays c’est une forêt, un peu étêtée en crête et ouverte en bas par les champs » ; « On est entouré de montagnes et entouré de forêts ».

Les installations humaines, dans ce contexte sont véritablement cernées et l’agriculture maintient tant bien que mal des espaces de « respiration » en sursis : « Ce sont des communes de poche. Le rapport au territoire est complètement différent : la friche, la forêt et le pacage sont des espaces fondamentaux » ; « on a une multitude d’imbrications entre une agriculture de survie, et la forêt ». Cette agriculture est essentiellement limitée à l’élevage ovin pour lequel le cheptel s’est globalement maintenu, et qui inclut des exploitations d’herbassiers et de transhumants. Mais les conditions de pâturage ont globalement changé : la taille des exploitations a augmenté et les troupeaux sont plus nombreux du fait des regroupements de plusieurs éleveurs pour employer un même berger. Fortement subventionné, l’élevage ovin ne parvient cependant pas à maintenir les usages plus anciens de l’espace : « l’environnement des villages est moins travaillé » ; « L’élevage est pénible, il disparaît. Il faut le faire avec passion et ils vivent avec des subventions… ». La forêt récente efface ainsi peu à peu les traces des utilisations humaines de l’espace, mais nombreux sont ceux qui restent attachés à ces traces et acceptent très difficilement leurs disparitions : « Il y a eu des opérations massives de reboisement en pins noirs (finies aujourd’hui) et un reboisement spontané en pins sylvestres. C’est la négation de la dimension humaine de la montagne. Or la montagne c’est d’abord un patrimoine culturel – Natura 2000 on aurait dû l’appeler Cultura 2000, la nature y est comme produit de l’homme » ; « C’est un emboisement progressif. Les pins ont commencé à pousser, la lavande naturelle a disparu. Puis la deuxième victime c’est le genévrier, qui a commencé à pousser en hauteur, et qui ne fait plus de fruits. On ne reconnaît plus le paysage, à part sur les roubines – et encore la RTM y a planté ! ».

Les paysages des Préalpes

Représentations de l’espace et paysages

En dehors de la forêt et des reliefs tourmentés, un troisième élément entre dans la description générale que les acteurs donnent des paysages des Préalpes : il s’agit de l’eau : « des montagnes et des lacs, il n’y a que ça » ; « Ce sont des secteurs très marqués par l’eau et les aménagements hydroélectriques ». Cette présence de l’eau est l’un des points de différenciation avec les collines et plateaux de Haute Provence : « Ici, il y a toujours l’eau, c’est un pays de torrent. La Haute Provence, ce sont des collines et des villages perchés qu’on ne trouve pas ici. Mais surtout, il n’ y a plus d’eau, à part la Durance et le Verdon ». Ces trois éléments génériques sont mis en avant pour qualifier un ensemble de lieux qui s’organisent de manière très complexe, autour des rivières (vallées) et des villes (bassins). On est loin des entités territoriales de la Haute Provence, bien délimitées par leurs situations géomorphologiques. Dans les Préalpes, se dégagent à la fois des caractères généraux du paysage et se distinguent des sites qui émergent d’une généralité pour constituer des espaces sanctuaires : physiquement à l’écart et symboliquement centraux.

Les ambiances ressenties dans les Préalpes sont largement influencées par une luminosité particulière, qui distingue les choses : « C’est la luminosité qui marque le paysage. La montagne c’est 7 à 10 chaînes différentes, c’est féerique au lever du jour » ; « La vallée n’est pas très encaissée, ça permet des jeux de lumière aux changements de saison. C’est un coin de paradis » ; « C’est marron et froid en hiver : ça me tranquillise. La gaieté vient du ciel bleu, c’est la lumière. L’air est très sec et les contrastes très forts, entre le jaune des herbes et les champs ». L’évocation de la lumière et d’une certaine gaieté contraste avec le constat plus dur d’un territoire en repli et en difficulté, qui trouve également sa traduction visuelle : « Ce pays est assez hostile, sec, caillouteux. Le printemps est très tardif. Thorame a un paysage accueillant, mais c’est un charme très rude. Dans la vallée, on a une impression de désert ».

Lumière et désert, c’est l’aspect minéral du paysage qui est mis en avant malgré l’omniprésence de la végétation décrite plus haut : « Le paysage typique c’est les marnes noires. Ce sont des sites complètement minéraux : ça contraste avec la végétation. C’est catalytique : on n’arrive pas à mettre de la végétation. Il y a des points de vue où on ne voit que du noir. Sur la Barre des Dourbes, on n’a que trois choses : la barre, les bois et les glissements » ; « Il ne reste que le minéral, car le végétal n’a pas de prise. Depuis le début du siècle, là où il ne poussait rien, il n’y a toujours rien ». Cette permanence de la géologie amène à des formes très spirituelles de perceptions : « le plissement alpin est très beau, là. Il crée une obligation de modestie, par rapport à ce que nous sommes » ; « Les gens qui viennent ici vivent une expérience personnelle, ils sont touchés, pour eux c’est un paysage fort ».

En complément des formations rocheuses et en opposition à la forêt, les prairies d’altitude sont visibles depuis les vallées et les lieux d’habitation et sont l’élément remarquable du paysage. D’une part pour la douceur qu’elles confèrent à un paysage plutôt rude, en occupant la plupart des crêtes du relief : « C’est possible de se déplacer sur des crêtes arrondies, sans danger car le relief est doux. Et on peut aller de sommet en sommet » ; « L’étage supérieur, ce sont des prairies de fauches très riches et des crêtes nettement découpées » ; « Il y a de belles courbes, les cirques, des gazons splendides et les fayards à l’ubac. C’est une chaîne de pelouse. Je n’ai jamais vu de coin comme ici ». Mais ces prairies créent également des ambiances qui donnent l’impression d’un ailleurs : « Les plateaux d’altitudes, c’est la Mongolie. C’est très spécifique. Le sommet de Tête Grosse est couvert de myrtilles, c’est tout rouge en ce moment. C’est un paysage beaucoup plus nordique, un paysage d’ailleurs. C’est un peu comme les crêtes de Lure ». Les crêtes dégagées sont les espaces qui résistent à l’invasion de la forêt et qui la dominent. Les prairies, même si elles ne sont plus pâturées, deviennent la seule trace visible de loin de l’utilisation humaine du territoire. Elles prennent une dimension presque identitaire : « Les crêtes, ce sont des belvédères qui sont support d’activité pastorale ; ça appartient à un patrimoine important. C’est un paysage mental : des barres rocheuses, la forêt et des crêtes dégagées. C’est une vision très provençale : on voit par exemple la série des crêtes sur le Grand Luberon ».

Parmi ces espaces d’altitude, deux secteurs concentrent ces qualités d’ouverture, à l’écart des reboisements trop massifs et des évolutions urbaines ou périurbaines. Il s’agit du massif des Monges et du massif du Chiran. Difficiles d’accès, ces deux massifs seraient les meilleurs témoins des aménagements pastoraux qui permettent de rappeler le passé rural des Préalpes : « Les Monges sont aujourd’hui de vastes steppes car elles sont parcourues. Elles se couvriraient de pin sinon » ; « Ce sont des espaces sauvages, mais façonnés par l’homme. On n’y voit plus ce que l’homme a fait. Mais de près, sous les pins noirs, on voit des terrasses, des murettes, les terroirs, les aménagements pastoraux » ; « Ce sont de grands espaces de moyenne montagne très peu reboisés. C’est possible d’y préserver la Provence du 19ème siècle, la Provence de Giono ».

Pour autant, à part la présence des bergers et de leurs troupeaux, ces espaces sont apparemment à l’écart des circulations et des sociétés : « Les Monges, c’est une citadelle d’altitude, qui flotte au-dessus de beaucoup de choses. Il n’y a pas grand monde. Une notion d’espace et de regard qui porte loin. Des plateaux au relief doux, très ouvert, au dessus du temps. Des grands espaces. C’est un luxe que peu de régions peuvent s’offrir. C’est cerné de vallées, encaissées, c’est comme une citadelle, et il faut monter à pied, il n’y a pas de route. On monte vers la lumière » ; « L’habitat est dispersé, c’est un peu un sanctuaire, parce que c’est difficile d’accès et ne débouche sur rien, et c’est au centre du département. C’est un secteur que les acteurs locaux ont laissé tomber et c’est tant mieux ». Très à l’écart, ces espaces se prêtent ainsi à la possibilité d’une gestion sans interférence, dans un esprit de conservation pure et simple d’un paysage qui n’est plus : « On pourrait faire des études poussées en préalable au ‘conservatoire du paysage haut provençal’ ».