2. LA PLANIFICATION URBAINE
Tout d’abord, il se dégage des entretiens avec les élus du département qu’ils ont bien une politique urbaine, à l’inverse de ce que pensent leurs détracteurs, qui les accusent souvent de « faire n’importe quoi ». Cette politique urbaine est cohérente et l’on retrouve ses principaux traits caractéristiques à l’échelle du département.
En premier lieu, tous les élus se situent dans une perspective de développement et d’extension urbaine. Car ce qu’il faut rechercher à tout prix, c’est l’augmentation de la population : « Mon objectif à la fin du mandat, c’est d’avoir 1000 habitants. Si le PLU est accepté c’est possible. Il faudrait même franchir la barre, car ça doublerait les dotations. Vivre à 1000 c’est mieux que vivre à 500 ». L’exode rural et la longue période de recul démographique ne sont pas pour rien dans l’affirmation de cet objectif prioritaire. Pour la plupart des maires, confrontés au vieillissement de la population, le maintien et l’augmentation du nombre d’habitants passe par l’existence d’une école : « Tout le monde veut du monde. Dans la vallée, on veut garder nos jeunes et nos écoles, avoir des couples et des gosses. C’est la base de toute l’activité d’un village ». L’école est le premier service public, et même dans une commune attractive, c’est un argument déterminant pour l’installation des nouveaux arrivants : « Moi, je bénéficie de la Vallée de la Durance. Je vendrais tous les terrains sans problème, mais on me demande : y a-t-il une école ? ».
Pour concrétiser cette ambition, plusieurs élus ont recours à la création de logements sociaux, gérés directement par la commune, ou par le biais de l’office départemental. En amenant une population permanente, parmi laquelle il favorise les familles avec de jeunes enfants, le maire justifie la création ou le maintien de l’école. Il peut également maintenir un équilibre démographique, vis à vis des retraités et des résidents secondaires, qui peuvent devenir des concurrents politiques. De la même manière dans les stations de ski, les maires sont confrontés à la nécessité de rentabiliser le patrimoine bâti en s’assurant qu’il soit loué régulièrement, et qu’il ne devienne pas une simple résidence secondaire occupée quelques jours par an. A la recherche de ces « lits banalisés », les élus sont plus intéressés par des centres de vacances par exemple. Dans le même esprit, l’installation d’une activité sur une commune est très recherchée, mais ce ne sont que les communes proches de la Durance qui peuvent en profiter. A l’écart de cet axe, et confronté à l’omniprésence des résidences secondaires, le maire d’une commune des Préalpes ne désespère pas : « Le rebond aura lieu dans 15 ans environ, avec un nouvel afflux de population ».
La rénovation du bâti ancien, notamment dans le centre villageois est un enjeu potentiel pour attirer une nouvelle population. Mais dans ce domaine, les élus ont des attitudes plus diverses. Certains y voient justement l’opportunité d’y créer du logement social, mais plus généralement c’est l’attentisme qui domine : « Nous sommes « village et cité de caractère », avec le Comité départemental du tourisme. Mais c’est le privé qui s’occupe de la rénovation des bâtis. Nous, on contacte l’Architecte des Bâtiments de France ». La plupart des élus attendent des nouveaux arrivants qu’ils restaurent le bâti le plus délabré : « Le bâti actuel se vend beaucoup, avant qu’il y ait un effet sur la construction. Ca va purger le problème du bâti ancien, qui a été fermé pendant pas mal d’années ». L’intervention publique se limite alors, dans les meilleurs des cas, aux opérations de rénovation des façades financées par le Conseil Général. En d’autres termes, les cœurs de village ne constituent pas, aux yeux des élus, un volant de bâti disponible pour accueillir une population nouvelle, malgré les signes que ce type de logement séduit de plus en plus les urbains.
C’est donc vers la construction de nouveaux logements que la plupart des efforts sont tournés pour assurer l’accueil des arrivants. L’extension urbaine est cependant soumise à certaines contraintes pour la collectivité qui détermine les espaces qu’elle lui consacre. D’abord la contrainte de disponibilité foncière, mais celle-ci est très faible dans la plupart des communes, exceptées lorsqu’elles sont soumises à des risques naturels importants. La deuxième contrainte est technique et financière : l’ouverture à la construction suppose que la commune assure le fonctionnement des réseaux urbains pour les nouveaux logements. L’adduction d’eau et l’assainissement peuvent représenter des coûts importants, et empêchent effectivement les nouvelles installations dans les lieux les plus isolés. En revanche, dans le cadre d’extensions urbaines, les avantages liés aux nouveaux arrivants attendus dépassent la plupart du temps les coûts pour la collectivité. Pour les élus, c’est le plus souvent un « risque qu’il faut prendre ».
La dernière contrainte à l’ouverture d’espaces à l’urbanisation est réglementaire et concerne les espaces protégés au titre des codes de l’urbanisme et de l’environnement. Mais sur ce point les élus acceptent difficilement de se voir imposés des limitations à leurs visions d’aménageurs : « Il faut plus de souplesse dans la capacité des communes à juger de leur extension, pour pouvoir exister demain. On nous met des jalons encore trop importants. On nous impose des zones vertes… mais il n’y a que ça sur la commune ! Les gens de terrain sont capables de réfléchir à l’avenir. On ne veut rien saccager, on veut se donner les moyens de prospérer ». Un autre élu rappelle que « ça paraît simple vu d’en haut, quand on regarde une carte, il faut construire là et pas ailleurs. Mais sur le terrain pour le maire c’est beaucoup plus compliqué ».
En fait, la contrainte réglementaire renvoie à l’équilibre des pouvoirs dans l’aménagement de l’espace, et les élus revendiquent une position à la fois de pouvoir et d’impuissance : « Il y a une forte demande de logements, car les prix sont très chers dans la Vallée. Je n’ose pas dire que ça se fait de façon un peu anarchique, mais enfin… On fait attention. Mais si quelqu’un fait une pizzeria, je ne vais pas lui dire : fais-la ici plutôt que là. Si c’est dans les cadres… On essaie de distendre un peu toutes les contraintes imposées, qui sont imposées par des gens qui ne savent pas ce que c’est. Quand on me dit que je suis en zone inondable, alors qu’il n’y a pas d’eau… Ils font des calculs savants. C’est pas comme ça qu’on fait du développement ». En d’autres termes, les élus revendiquent d’être les mieux placés pour décider des vocations des espaces, tout en reconnaissant qu’ils ont des difficultés à imposer ces décisions aux acteurs économiques : « On ne peut pas s’opposer à une construction. Quand on s’y est opposé, on a été déféré au tribunal administratif et la mairie a perdu », reconnaît le maire d’une commune qui ne dispose pas encore de document d’urbanisme.
La contradiction se creuse ainsi chez les élus entre la revendication d’une plus grande autonomie de décision, et la crainte de devoir assumer des décisions qui, selon eux, leur sont dictées par les acteurs locaux. Entre « laissez nous faire » et « c’est pas de notre faute », les élus ont de grandes difficultés à définir des horizons à la planification urbaine : « Quand on veut développer sa commune, on fait du coup par coup, avec ce qu’on a ». Lorsque c’est le cas, alors le document d’urbanisme prend tout son sens, et l’on peut discuter de ses orientations pratiques : « Il y a un phénomène d’explosion de la construction. Il y a trois ans, on avait 50 demandes par an ; en 2001, j’en ai traité 120. On voudrait revenir à trois ou quatre constructions par an, pour que la population ne dépasse pas 700 habitants ».
Les documents d’urbanisme à la disposition des élus leur permettent de peser effectivement sur la construction et les formes d’extension urbaine. Une majorité de communes sont couvertes par ces documents d’urbanisme, essentiellement les Plans d’Occupation des Sols (POS), en cours de transformation en Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), et les cartes communales. Les communes qui n’ont pas fait cette démarche sont soumises au Règlement National d’Urbanisme appliqué directement par les services de l’Etat. Les communes dans ce dernier cas sont généralement les moins peuplées, principalement situées dans les Préalpes (cf. carte).
Les documents d’urbanisme déterminent les deux principaux caractères de l’urbanisation : sa répartition et sa densité. Concernant la répartition, les communes des Alpes de Haute Provence présentent généralement un noyau villageois dense et ancien, et sur le reste du territoire des constructions pavillonnaires, parfois en lotissements. La première question fondamentale est celle de la continuité entre ces bâtis. Cette question se pose d’abord autour du centre ancien : « Il faut repousser les urbanisations un peu plus loin, ces cochonneries, et remettre des oliviers autour des villages », estime un technicien intercommunal. Cherchant des espaces de respiration, le maire peut alors protéger en premier lieu la silhouette du village perché, et faire en sorte qu’elle soit vue de loin, sans que le tableau ne soit « dérangé » par des constructions contemporaines. A l’inverse, plus on s’éloigne du centre ancien pour y réaliser des nouvelles constructions, plus on risque le mitage : chaque construction, si elle n’est pas en continuité avec l’existant, aura un potentiel d’impact très fort sur le paysage agricole ou naturel environnant. Or la discontinuité est encouragée par certaines pratiques d’urbanisme, comme le souligne le technicien d’une autre structure intercommunale : « Il y a un problème de fonctionnement, qui génère une consommation d’espace trop importante dans les communes. Les urbanistes appliquent un ratio consistant à multiplier par trois la surface nécessaire à l’urbanisation : pour faire 50 logements, il faut en prévoir 150, parce qu’il existe une rétention foncière contre laquelle on ne peut rien. Ca fait des espaces vides au milieu des maisons. Après on dit qu’on va densifier, mais en fait on ouvre une autre zone ».
Ce dernier constat amène à la question de la densité urbaine. Le modèle architectural dominant est le pavillon construit au milieu de sa parcelle, qui donne au tissu urbain son aspect discontinu, et du fait des ratios appliqués, laisse longtemps des espaces vides entre les terrains construits. Dans les Plans d’occupation des sols (POS), les communes pouvaient imposer une taille minimum des parcelles donnant la possibilité de construire ensuite en fonction d’un coefficient d’occupation du sol (COS). En augmentant la surface minimum imposée dans chaque zone urbaine, le conseil municipal attirait une population réputée plus aisée, et s’assurait des revenus fiscaux plus élevés par habitant. Cette forme de pavillonnaire, très consommateur d’espace, s’est imposé comme un modèle pour l’urbanisation. Cependant, la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), en supprimant la surface minimum de parcelle, vient contrecarrer cette hégémonie, et encourage les élus à densifier le tissu urbain, comme le déplore ce professionnel de l’immobilier : « Les gens qui participent à l’urbanisation sont assez honnêtes. Leur philosophie est de faire de la périphérie lente, sans faire de mitage. Mais il y a une contrainte : la loi SRU renforce la densité, et c’est désagréable pour nous. A une époque on pouvait construire sur des terrains de 400 ou 500 mètres carrés, puis on a agrandi la taille des parcelles. Mais maintenant on revient à une densification réglementaire ». Dans le département, la densification peut effectivement apparaître comme superflue puisque l’espace ne manque pas, mais en réalité elle incite les collectivités à mieux réfléchir l’organisation et le fonctionnement de l’espace, au-delà de sa « consommation ».
Cette réflexion doit porter sur les questions de paysage, et inclure plus directement leur prise en compte dans la réalisation de tous les PLUs, afin d’établir des stratégies claires au niveau communal. Mais elle porte également sur les formes architecturales les plus adaptées à cette prise en compte. Ainsi, plusieurs acteurs suggèrent que le département propose aux élus des types architecturaux adaptables aux contextes locaux, utilisant de préférence les matériaux traditionnels. Ces formes architecturales devraient permettre la densification du tissu existant, tout en assurant la qualité des nouvelles extensions urbaines. Enfin, elles devraient satisfaire la demande de logement des urbains venus habiter le département, et qui choisissent le pavillon « provençal » parce qu’ils n’ont souvent pas d’alternative.
Si la planification urbaine peut intégrer de tels outils, elle bute encore sur les moyens des collectivités pour mener la réflexion sur leurs territoires. La plupart des petites communes ne disposent pas des techniciens formés à la planification urbaine. L’effort de formation doit donc se porter vers ceux qui aujourd’hui font cette planification : les élus, les architectes et les urbanistes, ainsi que les structures intercommunales d’appui aux collectivités. Cependant les élus admettent très difficilement avoir besoin d’une telle formation. Au cœur de la décision depuis de longues années, ils n’ont pas de leçons à recevoir… En fait, la réflexion sur l’avenir d’un territoire qu’amène nécessairement l’analyse paysagère, est une opportunité rare pour l’élu d’affirmer clairement son pouvoir dans la définition de cet avenir. En contre partie, il se doit de faire valoir ces décisions auprès des habitants, et d’assumer sa capacité à dire non, ou à modifier un nouveau projet en fonction de ces décisions : « Tout dépend des élus locaux et de leur capacité à résister. D’où ma crainte vis à vis de la loi SRU qui donne plus de responsabilités aux élus ; ils ont la liberté mais en ont-ils les moyens ? » s’inquiète un chargé de mission.
Mais au-delà d’une formation, c’est également d’un appui technique qu’ont besoin les collectivités. La création d’un Conseil en Architecture, Urbanisme et Environnement dans le département, est particulièrement urgente pour donner une cohérence à la politique départementale, tout en fixant des repères techniques, et en fournissant un appui adapté aux élus locaux. Dès lors qu’une telle structure sera en place, les communes pourront assumer pleinement la gestion de leurs territoires, et les moins peuplées devenir responsables de leur avenir en établissant enfin les documents d’urbanisme dont elles manquent.