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3. LE PATRIMOINE

Une politique des paysages doit inclure un axe concernant le patrimoine, dont les éléments marquent l’espace. Dans les Alpes de Haute Provence, il existe une grande diversité, pour ne pas dire une disparité du patrimoine rural. A l’Ouest, on remarque surtout les silhouettes villageoises, l’habitat groupé formant des ensembles emblématiques, tandis qu’à l’Est, ce sont les chapelles isolées, et les hameaux ruraux. Le patrimoine bâti dans son ensemble attire depuis longtemps l’attention des acteurs locaux.

Concernant le bâti agricole isolé, il a le premier fait l’objet de rénovation par les nouveaux habitants, retraités ou en résidence secondaire. Dans de nombreux cas, cette rénovation s’est faite à la fois selon le goût des propriétaires, et les canons actuels des professions de la construction. Un auteur le déplore ainsi : « Pour la rénovation du bâti, le maçon serait déshonoré si les autres voyaient un travail non conforme à la profession. Ils veulent toujours blanchir la pierre… Les matériaux d’aujourd’hui ne vieillissent pas, ils deviennent sales et laids, mais ils ne vieillissent pas ». Dans certains cas, le changement d’usage de la maison peut entraîner des conséquences sur le milieu, comme c’est le cas dans le Mercantour : « On a un gros souci sur la réhabilitation de cabanes isolées en résidences secondaires. Il y a un risque de pression importante ». La végétalisation excessive, la fermeture par des haies entourant un bâtiment agricole auparavant ouvert sur les champs, ces éléments de rénovation ont dénaturé une partie du patrimoine bâti agricole.

Dans le même temps, les villages anciens n’ont pas fait l’objet d’une attention particulière. Comme on l’a vu, les collectivités n’ont pas initié la reconquête du bâti ancien dans les villages, laissant ce soin à d’éventuels acheteurs. Fermées par la carence de propriétaires ou le désintérêt des familles, les maisons de village sont souvent aujourd’hui dans un état médiocre. La rénovation des façades financée par les collectivités, permet au propriétaire privé de ne payer qu’une part des travaux de ravalement. Aujourd’hui plus attractifs, les centres anciens ne sont pas encore redevenus des centralités urbaines ou rurales, comme s’en plaint un habitant récent : « On bloque l’évolution du centre ancien, et on pousse les gens dehors. On pousse à la destruction de la ville. Pourtant il y a beaucoup de gens qui vont venir, et qui souhaitent être en centre ville. Qui veulent une vie de quartier, aller au café. C’est une demande dont les élus n’ont pas conscience, mais que l’on voit venir ». Plusieurs communes ont engagé des démarches de ZPPAUP (Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager), qui consistent notamment à contraindre plus fortement les aménagements dans les centres anciens

Enfin, concernant le petit patrimoine isolé, les chapelles sont rénovées parfois à l’initiative d’associations locales. En fait, c’est toute la politique de protection du patrimoine dans le département qui est largement initiée par les associations, parmi lesquelles Alpes de Lumière fait figure de pionnière. Cherchant à maintenir et transmettre les savoir-faire, ces structures font un travail de sensibilisation des propriétaires, et se placent parfois en prestataires des collectivités locales. Leur travail a été reconnu par les autres acteurs du patrimoine, qui forment aujourd’hui ensemble un comité départemental du patrimoine rural, auprès de la Direction départementale de l’agriculture.

Cependant le patrimoine paysager comporte bien d’autres éléments que le bâti. En fait, la qualité des paysages implique des usages relativement stables des espaces, et c’est dans ce domaine que le département a connu la renaissance de plusieurs usages anciens, restaurant ainsi un patrimoine social autant que paysager. C’est la restauration des oliveraies qui incarne le mieux cette renaissance : « Beaucoup d’associations et d’acteurs locaux voulaient travailler sur l’olivier : c’est une entrée qui alimente leur histoire », raconte l’un des promoteurs de l’olivier. Arbre domestique par excellence, l’olivier a nécessité cette fois la création d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) pour son huile, mais il a surtout créé un lien avec le passé villageois, mis entre parenthèse avec l’exode rural. De plus, le parcellaire très morcelé des oliveraies a rendu leurs restaurations forcément collectives, autour de la création d’une association de producteurs. Si les restaurations sont encore tributaires de la bonne volonté des propriétaires, elles ont déjà marqué l’évolution des paysages.

D’autres usages ou activités sont l’objet d’une certaine nostalgie. C’est d’abord le cas de la culture d’amandiers sur le plateau de Valensole : « L’amandier est le premier arbre qui fleurit sur le plateau. Mais on a coupé les arbres au fur et à mesure qu’ils mouraient. Il faut inciter les agriculteurs à planter des amandiers en bordure des parcelles. Cependant il y a un problème fiscal, c’est que l’amandier est considéré comme du verger, alors qu’il n’est pas productif. C’est du militantisme pour un agriculteur ». Derrière l’élément de paysage qui disparaît, c’est en effet l’économie rurale qui a changé. Restaurer ce patrimoine, c’est tenter de restaurer une activité agricole dans un pays de tradition spéculative où la concurrence est rude. Seule l’intervention publique peut alors pallier au défaut d’intérêt des propriétaires et exploitants pour cette activité.

La même question se pose pour l’ensemble des traces du monde rural du siècle dernier : « Je le vois à l’envers le paysage : les terrasses sous les arbres. Je vois ce qu’il a été. Je le vois se détruire, il se défait ». La plupart de ces espaces ont été envahis par la forêt. C’est pourquoi germe chez certains acteurs la volonté d’en préserver un témoignage : « Il y a encore de grands espaces de moyenne montagne très peu reboisés. C’est possible d’y préserver la Provence du 19ème siècle, la Provence de Giono. C’est là bas qu’il faut mettre le paquet, même si c’est dans un but qui mérite d’être discuté : c’est une préservation artificielle… », suggère un technicien forestier. La trentaine de villages abandonnés disséminés dans le département, peut sans doute constituer la trame de cette politique de conservation.

Plusieurs acteurs critiquent cette volonté de « momifier » une campagne qui est vouée à disparaître. Cependant, la volonté de patrimonialiser a été dans l’histoire concomitante des moments de destruction rapide des traces du passé. Ainsi l’exode rural, rapidement suivi par un rebond démographique dans une grande partie du département, font craindre pour des espaces et des paysages qui se raréfient. Les acteurs locaux voient de plus une partie de ce patrimoine leur échapper au profit de propriétaires plus riches, venus d’ailleurs, avec leurs propres schémas de pensée et leurs visions de l’espace. Dès lors, la question de la transmission d’une histoire des lieux est posée, alors que l’intervention publique s’est contentée jusqu’à présent de valoriser le potentiel touristique de ce patrimoine.