6. LE DEVELOPPEMENT LOCAL
Comme on l’a vu plus haut, les communes du département ont le plus souvent comme objectif prioritaire l’accroissement de la population. Pour ce faire, un petit nombre d’entre elles compte sur l’installation de nouvelles activités : « La plus value territoriale, c’est d’abord les développeurs économiques. Il faut donner la priorité à ceux qui s'installent, investissent, embauchent » constate une chargée de mission. Les communes disposent notamment des ateliers-relais : avec des cofinancements publics la commune installe l’entrepreneur, qui lui verse un loyer et devient propriétaire des lieux au bout d’une longue période. Cette mesure permet aux collectivités de supporter le risque lié à la survie de l’activité, mais elle reste cantonnée aux communes qui ne sont pas trop éloignées des axes de communication. C’est donc dans la Vallée de la Durance et ses abords immédiats que ces activités s’installent et s’installeront majoritairement à l’avenir. Leur impact sur le paysage est considérable : « Comment éviter le massacre aux abords des villes ? Les industries, EDF et la grande distribution y règnent de façon exorbitante. Les collectivités n’y voient que les retombées économiques au détriment des entrées et sorties de ville » critique un universitaire.
A l’écart de la vallée de la Durance, très peu d’activités sont susceptibles d’apporter une source directe de richesse et de population dans les communes. Pourtant les besoins des communes, notamment financiers, peuvent y être très importants, compte tenu de la superficie du territoire et de la dispersion de l’habitat : toute taxe est alors bonne à prendre. La plus élémentaire des activités génératrice de richesses reste l’extraction de ressources naturelles, essentiellement dans des carrières, dont plusieurs projets sont à l’étude. Plusieurs communes ont été approchées pour l’implantation d’éoliennes sur leur territoires. Dans ces deux cas, l’impact paysager est potentiellement très fort, mais paraît secondaire aux élus en regard de la manne financière que procure ces équipements.
Cependant c’est l’activité touristique qui est la principale perspective de développement de ces zones. La conversion au tourisme s’est d’abord faite dans les vallées alpines, avec l’arrivée des sports d’hiver. Ailleurs, le développement du tourisme s’est fait progressivement : « C’est un tourisme de cueillette, spontané. Les gens sont passés de l’agriculture au tourisme. Aujourd’hui c’est l’anarchie : on se baisse pour cueillir, on met un panneau » ; « On faisait un tourisme de cueillette : maintenant il faut s’organiser ».
Dès lors, l’impact du tourisme sur les paysages est encore limité. Il s’agit essentiellement des entrées de villes et de villages, notamment en Vallée de l’Ubaye, comme le reconnaît un élu : « Il y a une prolifération de panneaux. Ils sont un peu agressifs, mais comment indiquer son restaurant ? ». Certains sites qui n’ont pas été aménagés pour l’accueil sont surfréquentés, ce qui peut occasionner des impacts sur le paysage, comme au bord du lac de sainte Croix, ou au bout des voies qui mènent au fond des vallées dans l’Ubaye, les « bouts de route ». Mais globalement, au niveau actuel des aménagements, les paysages sont bien plus un atout pour le tourisme dans les Alpes de Haute Provence, qu’une victime de ce même tourisme : « C’est un retour aux sources : le paysage c’est la richesse du département. Et on aurait dit la même chose il y a cent cinquante ans avec des paysages très différents ».
Les communes ont certes pris conscience de ce potentiel. Certaines ont engagé des opérations de nettoyage aux abords des villages, ou sur les espaces publics, conscientes du fait que le public européen est très sensible à ces questions. Mais vis à vis du tourisme, les élus s’intéressent d’abord à ses répercussions locales :« Ca ne nous intéresse pas, les gens qui se promènent dans la rue en levant le nez et qui ne rapportent rien ». Le principal objectif est que les visiteurs passent une ou plusieurs nuits sur la commune, et qu’ils trouvent une capacité d’hébergement suffisante, d’où les projets de construction de résidences ou de villages de vacances : « Ce qui nous intéresse ce sont les lits banalisés, c’est à dire mis sur le marché de la location ; qu’un même lit connaisse plusieurs usagers ». Un conseiller municipal dans un secteur en difficulté conteste ce calcul : « On va vers le tourisme pour le fric. Pendant trois mois on fait du fric et on se casse : quelles sont les retombées pour nos villages ? Ce n’est pas assez mais on dit « pas quantifiable ». La tourisme rapporte, mais combien coûte-t-il ? ».
En d’autres termes, le choix des modes de développement touristique s’avère crucial pour la gestion à long terme des paysages. Les stations de ski reflètent les difficultés de ce choix : très sensibles aux aléas et à l’évolution climatiques, elles sont très fragiles financièrement et sollicitent l’Etat pour s’équiper en neige artificielle. Ces investissements s’accompagnent parfois de projets d’agrandissement qui permettraient d’augmenter la part des lits banalisés par rapport aux résidences secondaires, moins rentables pour les commerçants et le fonctionnement des stations. Pour de nombreux acteurs du tourisme et du développement, il s’agit là d’une fuite en avant qui pourrait s’avérer sans issue : « Nos stations à terme sont mortes. Il faudrait dire qu’on arrête, c’est la meilleure solution, mais les élus ne veulent pas. Et en plus la demande de montagne augmente » ; « Par rapport à la neige, il va falloir prendre le virage du démontage de stations. C’est difficile de gérer la transition ». Si le tourisme de plein air a permis d’allonger les saisons, et de créer une complémentarité entre les stations et leur environnement rural, le passage à une autre économie que le ski est très difficile à envisager
Envisager le paysage comme une ressource de développement local permet de poser autrement les questions que se posent les communes. D’une part, le paysage est générateur d’activités touristiques et d’attraction pour les nouveaux habitants dans la mesure où il constitue l’un des principaux déterminants du cadre de vie, et ne sert pas seulement à la création directe de richesse. En considérant l’habitant dans l’ensemble de ses besoins, certains acteurs voient une autre vocation pour les zones isolées : « En haut, on a des territoires avec des besoins en services. On ne va pas copier Sisteron à Piégut, mais il faut un minimum de services pour entretenir ces paysages remarquables. Il faut convaincre que ces lieux sont remarquables, et ne pas construire partout. Moi, je mettrais l’argent là. Il n’y a pas besoin de grand chose, encourager l’agriculture et le petit artisanat » suggère une chargée de mission. Certains élus décident de limiter leur croissance démographique, et se veulent prudents sur les infrastructures à construire, pour préserver les qualités liées à l’isolement et au calme de leurs villages. De nombreux aménagements sont déjà faits dans le sens d’une amélioration du cadre de vie. D’après un représentant des élus : « On a eu 63 nouveaux maires en 2001, soit 30 %. Ce sont des jeunes maires qui veulent aller de l’avant. Ils font des aménagements, souvent paysagers. Toutes les communes se transforment. Elles veulent être plus attrayantes, avec des lieux de vie. Les maires ont évolué sur le paysage ; les jeunes poussent les plus anciens. On fait des aménagements de place, des chemins, on refait des murs. On reprend conscience que pour préserver, il faut restaurer ». Correspondant aux attentes contemporaines, les efforts des communes devraient maintenant englober l’ensemble du terroir, et profiter de l’attention aux lieux pour développer des dynamiques de vie sociale.